Lancement du sous-marin Suffren : regard de la presse russe.
Спуск на воду подводной лодки « Сюффрен »: взгляд российской прессы.
Le lancement du SNA Suffren à Cherbourg le 12 juillet dernier n’a pas vraiment retenu l’attention des grands titres de la presse fédérale russe. Les questions de politique intérieure (enregistrement des candidats en vue des élections gouvernatoriales du 8 septembre prochain) et de politique étrangère (la livraison des S-400 à la Turquie, les tensions dans le détroit d’Ormuz…) auront fait les gros titres. Par comparaison, la découverte de l’épave du sous-marin d’attaque Minerve une dizaine de jours plus tard, au large de Toulon, aura suscité un intérêt plus prononcé. La presse spécialisée aura consacré néanmoins quelques éclairants papiers sur le sujet.
C’est dans la presse spécialisée russe qu’il convient de se plonger afin de trouver des articles sur le lancement de l’unité tête de série du programme Barracuda. A cela, rien d’anormal : si les titres et sites spécialisés en Russie ne manquent pas de commenter les développements affectant les programmes américains, les sous-marinades des autres pays sont moins scrutées. Le lancement du Suffren n’aura pas dérogé à cette règle. Il n’en demeure pas moins que la lecture des quelques articles glanés ça et là permet de mettre en lumière les principaux éléments retenus par les observateurs russes à ce sujet.
Le délai de construction : (modeste) source de satisfaction
Entre la mise sur cale et le lancement du Suffren se seront écoulées près de 12 années. Le submersible sera en outre livré avec 3 ans de retard sur le programme initial. Ces délais n’auront pas échappé aux observateurs russes, dont certains ont été prompts à établir un parallèle avec le programme de construction des Yasen-M. Ainsi, entre la mise sur cale (24 juillet 2009) et la mise à l’eau du K-561 Kazan (8 avril 2017), unité tête de série des SSGN du Projet 885M/Yasen-M, un peu moins de 8 années se sont écoulées. Ce léger motif de satisfaction – certains diront de consolation – fait à peine oublier la lenteur de la construction du K-560 Severodvinsk, sous-marin tête de série du Projet Yasen. Mis sur cale fin 1993, il a été admis au service actif en 2014. Néanmoins, si une comparaison doit être établie, elle doit plutôt l’être en effet avec le K-561 Kazan dans la mesure où les submersibles du Projet 885M diffèrent, ne serait-ce que par leur taille – 10 à 12 m plus courts – de celui du Projet 885. En outre, les technologies utilisées pour les Yasen-M sont plus récentes que celles intégrées dans le K-560 Severodvinsk.
Évidemment, les 3 ans de retard du programme Barracuda – qui plus est pour une unité tête de série comme le Suffren – ne sont pas 5 ou 6 ans de retard, comme cela risque d’être le cas pour la livraison de la série des SSGN de type Yasen-M. Toutefois, le gabarit des submersibles n’est pas non plus le même : le Suffren déplace 5 300 tonnes en plongée tandis que le K-561 Kazan en déplace plus de 12 000… Les effectifs différent aussi sensiblement : 63 hommes d’équipage à bord du français, contre 85 pour les Yasen-M, soit 30% de plus qu’à bord du Suffren. Cet aspect est aussi relevé dans les articles.
La « quintessence » de la construction navale en Europe
Les mérites du retard accumulé par le programme sont vantés, dans la mesure où cela aura fourni « aux spécialistes de DCNS la possibilité de minutieusement examiner les problèmes techniques survenus lors de l’exploitation des sous-marins de la classe Virginia [américain] et Astute [britannique], et par la suite, de supprimer les raisons probables de leur apparition au cours de la construction du Suffren« . C’est pour cette raison que le premier né du programme Barracuda incarne, selon un article, la « quintessence » de la construction navale en Europe. Une dimension industrielle « européenne » qui n’échappe pas à un autre papier et qui amène certains observateurs à envisager des projets industriels de défense européens à plus ou moins long terme. Si le tank et le chasseur multi-rôles de 6e génération voient effectivement le jour, la prochaine étape ne serait-elle pas un porte-avions ou un SNA européens ?
Le Suffren : un défi posé aux capacités de lutte anti-sous-marine russes
Le titre du papier donne le ton : « Le Suffren jette un défi à l’aéronavale de la marine russe ». Outre la signature acoustique du submersible qui serait comparable à celle « d’un banc de crevettes », c’est la dotation en missiles anti-aériens A3SM, dérivés du Mica, qui retient l’attention des observateurs russes. Cette arme poserait un problème non seulement aux hélicoptères (type Ka-27) et aux avions (Il-38 et Il-38N) dédiés à la lutte ASM, mais aussi à l’aviation tactique. Par sa vélocité et sa fulgurance, l’A3SM serait en effet difficile à intercepter, ce qui amène l’auteur de l’article à qualifier le Suffren de « prédateur » des profondeurs.
La capacité à mettre en œuvre des missiles de croisière (ou MdCN pour missiles de croisière navals) est par ailleurs soulignée. Rappelons que la Russie avait fait sensation en 2015 en tirant des missiles de croisière Kalibr à partir de ses sous-marins classiques d’attaque de type Kilo, dans le cadre de sa campagne en Syrie. Pour autant, Moscou maîtrise la technologie des missiles à changement de milieux depuis les années 1980. Avec le programme Barracuda, un concurrent supplémentaire apparaîtra donc bientôt en Méditerranée : le Suffren doit être basé à Toulon. Gageons que le moment venu, son déploiement, pour des essais ou pour une mission, donnera lieu à des tentatives d’identification et de recueillement de sa signature acoustique, et pas seulement de la part des sous-mariniers russes…
Le lancement du Suffren a donné ainsi lieu à une certaine admiration de la part des observateurs avisés russes. Ce sentiment, qui transparaît en de rares occasions, repose plus généralement sur deux éléments principaux : la souveraineté industrielle dont la France dispose (encore) à ce jour et la voilure de la marine française, qui obéit au principe de juste suffisance.
source : Portail des forces navales de la Fédération de Russie