Amiral Vandier : « Le niveau de la marine chinoise est au-delà de ce que nous imaginions »
Pendant longtemps, la Chine a souffert d’un énorme dans le domaine des sous-marins. Et cela pour au moins trois raisons : la rupture avec l’Union soviétique, qui mit en terme à tout coopération dans ce domaine, la Révolution culturelle, qui mit sur la touche de nombreux spécialistes, condamnés en tant qu’ »intellectuels », et la doctrine navale chinoise, qui se bornait alors à la défense côtière.
Un tournant fut pris à partir des années 1980, quand Pékin adopta le concept de « défense active des mers proches », lequel évolua par la suite vers une stratégie « d’opérations dans les mers lointaines », la nécessité de protéger les voies d’approvisionnement s’étant imposée.
Et, avec ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale, Pékin a depuis mis les bouchées doubles pour se doter de forces navales de premier rang, tant en quantité qu’en… qualité. Il y a encore dix ans, les analystes de l’US Navy estimaient que les sous-marins chinois ne pouvaient représenter une menace sérieuse étant donné qu’ils étaient « plus bruyants » que leurs homologues russes construits vingt ans plus tôt.
Cependant, cette estimation a par la suite évolué. En 2014, le commandant des forces américaines pour la région Indo-Pacifique, qui était alors l’amiral Samuel Lockhlear, avait en effet souligné les progrès « significatifs » de la Chine dans le domaine des sous-marins, affirmant qu’elle était sur le point de disposer, pour la première fois, d’une « capacité crédible de dissuasion en mer ». En France, l’amiral Bernard Rogel, alors chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], fit un constat identique.
« Pendant longtemps, la Chine a été considérée comme un acteur régional, sans capacité océanique. Il faut nous préparer à réviser ce jugement, et assez rapidement », avait-il dit, lors d’une audition parlementaire, en 2014. « Si la valeur opérationnelle de la première génération de sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] chinois, qui date des années 80, était jugée très faible, il en va tout autrement des tous récents SNA de type Shang qui sont crédités d’un remarquable niveau de discrétion acoustique », avait-il relevé.
Ces progrès ne concernent pas les seuls sous-marins : la Chine a également investi massivement dans sa flotte de surface, avec notamment le « destroyer » de type 052D, le croiseur de type 055 [doté de 112 cellules de lancement vertical], le navire d’assaut amphibie de type 075 et, bien évidemment ses deux porte-avions [un troisième, doté de catapultes, est en cours de construction].
D’où le constat établi par l’amiral Pierre Vandier, l’actuel CEMM, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale. « Le niveau de la marine chinoise est au-delà de ce que nous imaginions », a-t-il dit, évoquant la mission « Marianne », au cours de laquelle le SNA « Émeraude » et le Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain [BSAM] « Seine » ont navigué en mer de Chine orientale et méridionale.
« À la suite de la mission Marianne, menée par le SNA Émeraude, nous avons recalé notre modèle vieux de quatre ans. Les chinois ont désormais du matériel moderne et de bonne qualité. Reste à apprécier, avec nos alliés, leur réel niveau militaire. Sont-ils réellement capables de mener des opérations pointues? En tout cas, ils ont dorénavant la capacité d’accompagner avec leurs corvettes et frégates, dans chaque détroit de la mer de Chine, les navires militaires occidentaux qui y transitent », a affirmé l’amiral Vandier.
Et, justement, la marine chinoise ne se prive pas d’user de ses capacités.
« Chaque année, à l’image d’un collier étrangleur, nous sommes un peu plus sous pression dans cette région du monde. La présence militaire chinoise s’affirme de plus en plus avec dureté. Désormais, dès l’entrée en mer de Chine, alors que nous naviguons en espace maritime international, nous sommes systématiquement escortés de très près par des navires militaires chinois. Cette année, nous avons subi des contraintes de navigation, à l’image d’un passant sur un trottoir qui reçoit des coups d’épaule et doit dévier de son chemin », a décrit le CEMM, pour qui « l’approche qu’a la Chine de la zone est de plus en plus territorialisante ».
Et d’ajouter : « La Chine a envie de modifier des règles internationales, de sortir d’un état qui ne lui convient pas. En mer, son objectif est clairement d’étendre sa surface. Cette évolution se poursuivra, sauf si l’on trouve le moyen d’équilibrer le dialogue stratégique ». Seulement, a conclu l’amiral Vandier, « si personne ne veut la guerre mais que beaucoup veulent changer les équilibres, la question est donc de savoir si l’on peut changer des équilibres sans faire la guerre »…
source: OPEX360