La marine indienne prête à sacrifier son troisième porte-avions pour six sous-marins nucléaires d’attaque
Ce n’est pas sans inquiétude que New Delhi voit l’ampleur de la présence chinoise en océan Indien et au voisinage du détroit de Malacca, dans le cadre de la stratégie dite du « collier de perles ». Celle-ci se traduit par l’implantation de bases navales sur un axe allant de la Birmanie à Djibouti, en passant par le Bangladesh, le Sri Lanka et le Pakistan ainsi que le renforcement des liens militaires avec des pays frontaliers comme le Népal.
Cette inquiétude est d’autant plus forte que l’industrie navale chinoise tourne à plein régime au point que, depuis 2015, l’Armée populaire de libération [APL] dispose de plus de navires que l’US Navy. Rien d’étonnant à cela quand l’équivalent de la flotte française est produit tous les quatre ans par la Chine. Qui plus est, les unités mises en service sont de plus en plus perfectionnées [et redoutables], comme, par exemple, le croiseur de type 055 qui, affichant un déplacement de l’ordre de 10.000 tonnes, est doté de pas moins de 112 cellules de lancement vertical de missiles.
Par ailleurs, les progrès chinois en matière de construction navale profitent également au Pakistan, ennemi historique de l’Inde. La marine pakistanaise doit acquérir auprès de la Chine quatre frégates de Type 054AP et huit sous-marins classiques de Type 039A [classe Hangor/Yuan].
Aussi, l’état-major indien s’interroge… alors qu’il est question de construire un troisième porte-avions en configuration CATOBAR [NDLR : avec catapultes et brins d’arrêt].
« Nous n’avons pas vocation à devenir une force expéditionnaire appelées à se déployer dans le monde entier. Nous devons garder et combattre uniquement le long de nos frontières et, bien sûr, dominer l’océan Indien », avait estimé, l’an passé, le général Bipin Rawat, le chef d’état-major des forces indiennes, après s’être dit favorable à plus d’investissements dans les sous-marins et les missiles de croisière aux dépens de la construction d’un troisième porte-avions.
Actuellement, la marine indienne dispose d’une flotte disparate de 15 sous-marins d’attaque à propulsion diesel-électrique, dont 8 de type Kilo [classe Sindhughosh] acquis en Russie, 4 de type 209, fournis par ThyssenKrupp Marine Systems [TKMS] et 3 de classe Scorpène [ou Kalvari], construits en Inde grâce à une licence accordée par Naval Group. Trois autres unités seront mises en service d’ici 2023.
En outre, elle loue à la Russie un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de type Akula II, à savoir l’INS Chakra II [ex-Nerpa] et prévoit d’en faire autant avec un second exemplaire en 2025.
Afin de remplacer les modèles les plus anciens, New Delhi a lancé le projet P-75I, afin d’acquérir six autres sous-marins d’attaque à propulsion diesel-électrique. En janvier 2020, cinq constructeurs et deux chantiers navals indiens ont été retenus pour participer à la phase finale de l’appel d’offres, dont Naval Group [Scorpène], le russe Rubin [Amour 1650], l’allemand TKMS [Type 214], l’espagnon Navantia [S-80] et le sud-coréen DSME [KS-III].
Parallèlement à cette procédure, l’Inde conduit le projet 75 Alpha. Approuvé en 2015, il vise à construire localement six sous-marins nucléaires d’attaque. Dans ce domaine, l’industrie indienne ne part pas de zéro étant donné qu’elle a été en mesure de concevoir l’INS Arihant, le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de l’Indian Navy. Un second exemplaire – l’INS Arighat – est en cours de construction au chantier naval de Visakhapatnam.
En revanche, la construction d’un porte-avions en configuration CATOBAR suppose des savoir-faire que l’industrie navale indienne ne possède pas pour le moment, sauf à faire appel à une aide extérieure qui ne pourrait être fournie que par deux pays : la France et les États-Unis. Et encore, s’agissant des catapultes, qu’elles soient à vapeur ou électromagnétiques, seule les seconds peuvent les fournir.
Cela étant, New Delhi pourrait avoir besoin d’une assistance extérieure pour mener à bien la conception de ces six SNA. La France, via Naval Group, pourrait la lui fournir, comme elle l’a fait avec le programme brésilien Prosub. De même que la Russie [d’autant plus que, dans ce domaine, ses relations avec la marine indienne sont anciennes, avec la location d’un premier SNA – le K-43 – dans les années 1960] et les États-Unis, pour qui le rapprochement avec l’Inde est crucial pour contrer la Chine.
Le coût du projet 75 Alpha a été évalué, en 2019, à 14 milliards de dollars. Une somme à comparer aux 16 à 17 milliards de dollars nécessaires pour la construction d’un troisième porte-avions, avec sa composante aérienne. Aussi, dans un contexte budgétaire contraint en raison de l’épidémie de covid-19 et en raison de la nécessité de combler des lacunes capacitaires dans certains domaines clés, l’Indian Navy a dû faire un choix. Et elle a estimé que les six SNA doivent être prioritaires, ce qui est par ailleurs cohérent avec la mise en place d’une composante océanique de la dissuasion nucléaire indienne. C’est ce qu’a affirmé le quotidien Hindustan Times, citant des sources « proches du dossier ».
La marine indienne a informé le gouvernement Modi que la mise en service de six sous-marins à propulsion nucléaire aurait la priorité sur un troisième porte-avions lourd […] pour contrer l’expansion rapide de la marine de l’Armée populaire de libération dominer l’océan Indien », a écrit le journal, la semaine passée.
Cette décision ne sera pas sans conséquences sur le programme MRCBF [Multi Role Carrier Borne Fighters] qui devait aboutir sur l’acquisition de 57 chasseurs embarqués multi-rôles pouvant être mis en oeuvre sur un porte-avions STOBAR [avec tremplin] ou CATOBAR. Le français Dassault Aviation [Rafale Marine] et l’américain Boeing [F/A-18 Super Hornet] sont en lice.
source : Opex360