Le Narval (1899), le sous-marin révolutionnaire

Les écrits sur les sous-marins commencent souvent par les plans de John Philip Holland. Entrés en service vers 1900, les sous-marins Holland ont en effet eu une influence considérable. Mais il s’agit là d’une perspective largement anglo-américaine de l’histoire. Il y avait, à la même époque, un concepteur français qui était sans doute tout aussi important. Les idées et les conceptions de Maxime Laubeuf ont littéralement façonné les sous-marins jusqu’à aujourd’hui.

La principale invention de Laubeuf est la double coque. Cela signifie que la coque épaisse, qui contient les personnes, est entourée d’une seconde coque extérieure. L’espace entre les deux coques est inondable, et il peut contenir des équipements, du carburant et des ballasts. Cela permet également à la coque extérieure d’avoir une forme différente de celle de la coque épaisse, ce qui peut la rendre plus hydrodynamique.

Les sous-marins de Holland, et ceux d’autres concepteurs, étaient à simple coque. Cela signifie que presque tout devait être intégré dans la coque (il y avait généralement un ensemble externe supérieur, en guise de passerelle).

Les deux approches se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. La célèbre classe TYPHOON est un exemple de sous-marin à double coque. La discussion sur la meilleure approche dépasse le cadre de cet article, les deux ayant des avantages et des inconvénients. Mais l’approche de Laubeuf a été, à un moment ou à un autre, utilisée par presque tous les pays construisant des sous-marins. L’Allemagne, en particulier, a basé une grande partie de ses conceptions des première et deuxième guerre mondiale sur sa technologie.

La merveille de la marine française, le Narval (Q4)

Le premier projet de sous-marin de Laubeuf a été baptisé Narval et la Marine nationale française lui a attribué le numéro Q4. Comme ce numéro l’indique, il ne s’agissait pas du premier sous-marin de la Marine nationale. La France avait été en avance dans l’adoption de la technologie des sous-marins pour sa marine. Il y avait des concepteurs impressionnants dans plusieurs pays (les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne…) mais leurs marines ont été lentes et peu enclines à prendre des risques. La Marine française a cependant exploité plusieurs modèles :

Le Plongeur, sous-marin à air comprimé lancé en avril 1863. Conçu par le capitaine Siméon Bourgeois et Charles Brun.

  • Q1 Gymnote, sous-marin à propulsion électrique lancé en septembre 1888. Conçu par Henri Dupuy de Lôme, Gustave Zédé et Arthur Krebs.
  • Q2 Sirène, sous-marin à propulsion électrique, lancé en juin 1893. Rebaptisé Gustave Zédé, du nom de son concepteur.
  • Q3 Morse, sous-marin à propulsion électrique, lancé en juillet 1899. Conçu par Gaston Romazotti.
  • Q4 Narval, sous-marin à vapeur et à batterie à double coque, lancé en octobre 1899. Dessiné par Maxime Laubeuf.

Le Narval répond à une demande formulée en 1896 pour un sous-marin ayant une autonomie en plongée de 10 milles nautiques à 8 nœuds. Il devait également avoir une distance franchissable de 100 milles nautiques à 12 nœuds et ne pas dépasser 200 tonnes. La Marine avait reçu 19 propositions de conception, le projet révolutionnaire de Laubeuf en fut le grand gagnant.

Le bateau a été construit en novembre 1898 et lancé un peu moins d’un an plus tard, en octobre 1899. Bien qu’il ne semble pas avoir répondu entièrement aux exigences initiales, il a tout de même constitué une avancée considérable en termes de capacités.

Plusieurs facteurs expliquent ses performances révolutionnaires. Tout d’abord, la technologie de double coque de Laubeuf, qui lui confère une forme plus proche de celle d’un bâtiment de surface. Celle-ci offrait de meilleures performances en surface que les bateaux à simple coque typiques de l’époque. Ensuite (et comme le Holland), il a diversifié la propulsion en surface et len plongée. En surface, il disposait d’un petit moteur à vapeur et, en plongée , de batteries [pour moteur électrique].

Coupes transversales comparatives de sous-marins. Laubeuf a créé le concept de double coque.

L’usage de la vapeur avait quelques inconvénients. Le passage de la surface à la plongée était désespérément long (plus de 20 minutes). Et il y avait toujours le risque d’une explosion si l’eau pénétrait dans la chaudière ou dans le local machines. Mais il faut replacer tout cela dans son contexte. À l’époque, le Holland utilisait des moteurs à essence, assurément connus comme encore plus dangereux à bord d’un sous-marin. Les moteurs diesel, qui allaient rapidement devenir le principal choix, en étaient encore à leurs débuts en 1898. La vapeur était un choix pragmatique.

Capacités de combat

Bien qu’il soit aujourd’hui considéré comme un type de bateau expérimental, le Narval a été construit avec une véritable capacité de combat. Quatre torpilles Whitehead de 450 mm (17,7 pouces) étaient emportées. C’était une de plus que les bateaux de la classe Holland.

Il existait deux façons de lancer des torpilles à l’époque. Plusieurs sous-marins utilisaient des tubes lance-torpilles. Cela permettait de transporter des recharges. L’autre méthode, adoptée par Laubeuf, est celle des colliers largables. Développés par Stefan Drzewiecki, un inventeur polonais souvent basé en France, ils transportent la torpille à l’extérieur. Pour lancer la torpille, un bras se déploie pour lancer la torpille vers la cible.

Au final, les colliers largables présentaient des inconvénients par rapport aux tubes lance-torpilles. Les torpilles étaient exposées à l’eau de mer, ce qui augmentait la maintenance et ne fonctionnait pas pour les longues missions. De plus le taux d’échec était plus élevé. Mais à l’époque, l’utilisation des tubes lance-torpilles posait des problèmes de sécurité sérieux. Plus tard, un sous-marin français coulera pour une vois d’eau sur un tube lance-torpilles. Les leçons n’ont été tirées que peu à peu, au fil des générations successives de sous-marins ; en 1898, les tubes lance-torpilles semblaient parfaits.

Les deux approches ne s’excluaient pas mutuellement. Plusieurs sous-marins ont été équipés des deux systèmes, avant et après le Narval.

L’héritage

La durée de vie utile du Narval, 9 ans environ , était normale pour l’époque. Mais son héritage est bien plus important. La conception de la double coque a été reprise par des ingénieurs travaillant en Allemagne et a été empruntée par le U-1 et de nombreuses conceptions ultérieures de sous-marins (y compris pour l’export, de manière significative, en Russie).

Laubeuf a ensuite conçu les classes Circé, Pluviôse et Brumaire. Plusieurs autres sous-marins français, conçus par d’autres ingénieurs ont poursuivi la conception de la double coque.

La Royal Navy et l’US Navy ont toutes deux construit des modèles à double coque. Mais le plus grand héritage se trouve peut-être en Russie et maintenant en Chine. La grande majorité des navires de ces pays sont à double coque, jusqu’à aujourd’hui.

NDLR : Bel et rare article que cet hommage anglo-saxon à Maxime Laubeuf .

source : HI SUTTON