Le sous-marin lance-missiles de croisière de la marine américaine : Le design original de l’USS Permit

L’histoire se souvient de l’USS Permit (SSN-594) comme tête de série de classe des sous-marins d’attaque Permit. Les Permit étaient les sous-marins d’attaque par excellence de leur époque, initiateurs de la forme allongée d’une coque en forme de goutte d’eau, désormais standard. Ils ont été les premiers à être équipés du réputé sonar d’étrave sphérique et de tubes lance-torpilles en barbettes. Mais quelques détails importants sont moins connus.

Le premier est que, bien qu’il ait donné son nom à la classe, l’USS Permit n’était pas le sous-marin tête de série. À l’origine, la classe devait s’appeler Thresher. Cependant, la perte tragique de l’USS Thresher (SSN-593), le 10 avril 1963, a conduit à donner à la classe le nom du deuxième sous-marin.

Ensuite, l’USS Permit n’était pas du tout prévu comme sous-marin d’attaque. Il devait être le dernier et le plus performant des sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière de l’US Navy. Cet article s’intéresse à la conception originale axée sur les missiles de croisière.

image d’artiste

Les missiles de croisière Regulus

Au début de la guerre froide, les États-Unis et l’URSS se sont empressés de mettre en place des moyens de dissuasion nucléaire à partir de la mer. L’approche américaine comportait deux volets : d’abord la construction de missiles de croisière à armement nucléaire, puis la construction de missiles balistiques. Pendant un certain temps, la voie du missile de croisière semblait beaucoup plus réalisable et des essais ont été effectués à partir des sous-marins existants. Ceux-ci ont été modifiés et dotés d’un grand hangar. Les premiers missiles de croisière étaient des JB-2 Loon, la copie américaine de la bombe volante allemande V-1. Certains d’entre eux ont été lancés depuis les rampes des USS Cusk (SS-348) et USS Carbonero (SS-337) à la fin des années 1940.

Mais le Loon ne servait qu’à des essais et il a été remplacé, au début des années 50, par un missile de croisière SSM-N-8 Regulus-I de conception américaine. Ce missile imposant ressemblait à un petit avion de chasse. Il avait une portée de 500 miles nautiques et pouvait transporter une bombe nucléaire M27 de 2 mégatonnes.

Regulus-I n’était qu’une solution provisoire. Le SSM-N-9 Regulus-II, beaucoup plus performant, devait constituer l’épine dorsale de la dissuasion nucléaire à la mer. Il s’agissait d’une arme à Mach 2 (par rapport au subsonique Regulus-I) avec une portée de 1 000 milles nautiques. La vitesse est donc deux fois plus élevée et la portée deux fois plus grande. De plus grande, il ne pouvait être embarqué qu’en moins grand nombre.

Le concept de base des opérations était similaire pour les deux missiles Regulus. Les missiles eux-mêmes étaient transportés à bord de sous-marins dans des hangars étanches. Le sous-marin devait faire surface avant que les hangars puissent être ouverts et le missile lancé. Ce dernier disposait d’un lanceur sur lequel étaient téléchargés les éléments du tir. Ces informations étaient fournis par le SINS (système de navigation inertielle du navire). Le SINS devait être le plus précis possible, car la précision ultime du missile dépendait de l’exacte connaissance du point de départ. Une fois lancé, le missile pouvait recevoir des signaux externes par radiocommande ou se fier à son guidage interne.

Sous-marins lanceurs de missiles de croisière de l’US Navy

Regulus-I était opérationnel depuis 1955, mais en pratique, il fallait des sous-marins capables de le mettre en portée de l’ennemi. A la réflexion, cela pourrait se faire à partir de sous-marins de la flotte modifiés, mais il valait mieux disposer de porteurs dédiés. Les premiers sous-marins construits à cet effet furent deux sous-marins de la classe Grayback. Dérivés des sous-marins de la classe Tang, ils étaient dotés de deux grands hangars sur l’avant. Des trappes s’ouvraient à l’arrière pour que les missiles puissent être tirés vers la voile, avant mise à feu au-dessus de l’étrave. A l’origine, quatre missiles Regulus-I pouvaient être transportés, deux dans chaque hangar.

Avant même le lancement du premier Grayback, la quille d’un navire à propulsion nucléaire avait été posée. L’unique navire de la classe Halibut, l’USS Halibut (SSGN-587), était plus grand que les Grayback et disposait d’un seul grand hangar. Celui-ci pouvait emporter 5 missiles Regulus-I.

Alors que le programme Regulus prenait forme, d’autres versions de sous-marins ont été envisagées. Certaines d’entre elles semblent avoir été fortement influencées par le célèbre sous-marin de classe I-400 de la Marine impériale japonaise ; comme d’autres sous-marins croiseurs japonais, il possédait deux coques épaisses réunies en leur centre pour n’en former qu’une seule. Le I-400 avait un hangar à avions tubulaire sur son pont, avec un massif en abord. Au moins une proposition de conception de l’US Navy s’en inspire. Finalement, l’USS Halibut aurait un grand hangar incliné inséré sur l’avant du sous-marin. Toute référence à l’I-400 était dès lors oubliée.

USS Permit, le super sous-marin aux missiles de croisière

L’USS Halibut était une conception unique. Bien qu’il ait été considéré comme un super-sous-marin pendant une brève période, il a rapidement été dépassé par des conceptions plus récentes. Sa coception à deux lignes d’arbres perdait de sa popularité dans la marine américaine en raison des performances impressionnantes de l’USS Albacore. Et son réacteur, le S3W, fut rapidement remplacé par le S5W. ils équiperaient des sous-marins à ligne d’arbres unique de forme Albacore. Le sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière (SSGN) suivant, l’USS Permit (SSGN-594), associerait un arrière à ligne d’arbres unique à un avant semblable à celui de l’USS Halibut. l’étrave verticale serait préférée (par opposition à la proue arrondie des nouveaux sous-marins d’attaque) car le sous-marin devrait être stable en surface et son pont avant peu balayé par la mer pour permettre le lancement des missiles.

Certaines améliorations ont toutefois été apportées au dispositif de rangement des armes du Halibut. Au lieu d’un seul grand hangar, le Permit reviendrait à de plus petits hangars indépendants, comme sur les Graybacks. Mais il y en aurait quatre au lieu de deux. Cela permettait de transporter plus de missiles, et aussi probablement de rendre le bateau plus résilient si l’un des hangars était inondé.

Il y avait quelques compromis cependant. Le poste torpilles était de taille réduite. On ne pouvait y embarquer que 8 torpilles. ( 8 au total, ou 8 et 4 dans les tubes ? rien d’assuré). Quoi qu’il en soit, c’était un armement réduit en la matière. De plus, la forme de la poupe ne laissait pas de place pour des tubes lance-torpilles arrière comme sur le Halibut et le Grayback.

Caractéristiques du USS Permit (SSGN-594)

  • Longueur : 372,8 pieds (113,60 m)
  • Largeur : 36 pieds 4 pouces (11,05 m)
  • Déplacement : 4,800 tonnes (en surface) ; 6,770 tonnes (immergé)
  • Vitesse : 17,5 nœuds (en surface), 16 nœuds (en plongée)
  • Immersion opérationnelle : 400 mètres (1 300 pieds)
  • Réacteur : 1 type S5W
  • Armes : 4 hangars pour les missiles de croisière Regulus II, 4 tubes lance-torpilles de 533 mm (21″) et 4 à 8 torpilles.
  • Équipage : 10 officiers et 88 membres de l’équipage

F-11F Tiger avions de chasse au lieu de missiles

Les SSGN doivent être considérés comme des plateformes de lancement de missiles, mais une autre idée compatible était développée au même moment. Si un sous-marin pouvait lancer un missile de croisière de la taille d’un avion, il pouvait aussi lancer un avion de la taille d’un missile. Un adaptation avait été envisagée pour permettre d’embarquer un avion à réaction Grumman F11F Tiger dans un hangar Regulus.

Le F11F était un chasseur supersonique embarqué du milieu des années 50. Bien que sa durée de vie ait été relativement courte, il n’était pas considéré comme un mauvais avion, mais pas aussi bon que le Vought Crusader. Il était cependant beaucoup plus compact, assez petit pour tenir dans un hangar Regulus. Les F11F Tigers seraient lancés à l’aide d’un propulseur, dit « tapis volant », fixé sur le ventre. Cet ensemble, largable une fois l’avion en vol ,pourrait être récupéré pour réutilisation. L’avion lui-même serait récupéré, en vol stationnaire sur l’arrière du sous-marins en étant saisi un système de récupération.

La proposition du F-11F n’était destinée qu’à servir de démonstrateur. Au lieu de cela, des avions beaucoup plus ambitieux ont été proposés. Il n’est pas surprenant que l’idée n’ait jamais été retenue, mais il s’agit d’un cas de figure intéressant. En outre, il n’était pas prévu que les SSGN actifs soient ainsi convertis au rôle d’avion. Des porte-avions sous-marins beaucoup plus ambitieux ont été proposés, ainsi que d’autres avions originaux. Voir le projet de porte-avions sous-marin AN-1.

Destin

Au moment où le SSGN-594, USS Permit, a été construit en mai 1959, la marine était déjà en train de construire 5 sous-marins lanceurs d’engins (SNLE). Les deux projets ont été menés en parallèle pendant un certain temps. Pendant un temps une série de 12 sous-marins équipés de missiles de croisière était prévue, en plus de plus de 40 sous-marins porteurs de missiles balistiques.

Au départ, le programme de missiles de croisière avait été l’option privilégiée. Mais les choses ont vite changé et le concept du missile de croisière est rapidement passé au second plan. La marine américaine a dû relever deux défis majeurs pour construire des missiles balistiques utilisables :
a) les difficultés physiques liées au transport de missiles balistiques à bord de sous-marins,
b) la capacité de lancement à partir d’un sous-marin immergé.

Le premier SNLE, l’USS George Washington (SSBN-598), fut lancé en juin 1959, un mois à peine après le lancement du Permit. Le missile balistique Polaris de première génération lancé depuis un sous-marin avait une portée de 1 400 miles nautiques. C’était près de trois fois celle du Regulus-I et 1,4 fois celle du Regulus II. Et la portée du Polaris allait encore être améliorée.

Le 18 décembre 1959, le missile Regulus est annulé au profit du Polaris. C’était avant tout pour des raisons budgétaires, mais la supériorité du missile à lancement submergé était également évidente. Le Permit ne fut pas pour autant perdu.

Au lieu de cela, il a reçu une nouvelle vie en tant que sous-marin d’attaque de la classe Thresher. Son nom et son numéro ont été conservés, mais sa conception générale tout autre. L’USS Permit (SSN-594 – notez SSN, au lieu de SSGN) a été construit 5 mois seulement après l’annulation du programme Regulus. Plus tard, bien sûr, il sera le premier sous-marin de son type mais l’histoire aurait pu être très différente.

Correction : Cet article indiquait précédemment que le Permit avait été construit en tant que SSGN, puis transformé en SSN. Ceci est incorrect. Le changement a eu lieu avant que sa construction ne débute.

USS Permit SSN-594

L’avant du sous-marin d’attaque était beaucoup plus court et présentait la l’étrave profilée désormais omniprésente. Celle-ci était occupée par un sonar sphérique, une caractéristique propre aux sous-marins d’attaque de l’US Navy pour le reste de la guerre froide. Le Permit, bien sûr, sera plus tard connu comme le navire vedette de sa classe. Mais on peut penser que sa construction originale de missiles de croisière aurait été plus intéressante. D’autres sous-marins équipés de missiles de croisière, l’USS Halibut et l’USS Grayback, ont connu des secondes carrières remarquables :. leurs hangars seront réutilisés pour des missions spéciales. Alors, et si ? …

NDLR : Lancé en 1929, le sous-marin Surcouf était, déjà, largement en avance sur son temps avec son hydravion Besson MB-411

source: HI Sutton