L’Inde a-t-elle besoin de plus de sous-marins nucléaires ?
L’accroissement des forces navales de la Chine, de l’Australie et des États-Unis tracasse la marine indienne.
Le déploiement sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) chinois au large des côtes indiennes et dans l’océan Indien représente une menace potentielle pour les ambitions régionales. Les sous-marins classiques sont moins coûteux et plus adaptés à la défense côtière, mais les SNA exigent un investissement considérable pour le maigre budget de défense de l’Inde.
Le gouvernement indien a autorisé la construction de six SNA en 2015.Celle-ci devrait débuter en 2023 pour une admission au service actif du premier en 2032. La marine indienne disposait dernièrement d’un seul SNA de type Akula (russe), l’INS Chakra 2, dans le cadre d’un prêt de dix ans.
Les exigences en matière de sous-marins diffèrent selon les marines. L’U.S. Navy privilégie les sous-marins nucléaires en raison de leur endurance illimitée, quel qu’en soit le coût. Une combinaison de sous-marins diesel et nucléaires satisfait la Russie et la Chine lesquelles mènent occasionnellement des opérations en haute mer mais privilégient la défense côtière et les activités littorales.
Il est logique que l’Inde équipe ses sous-marins de propulsion nucléaire afin qu’ils ne soient pas surpris par une attaque s’il sont au port ; l’Inde ne veut pas être prise au dépourvu. Cependant, le budget de la défense pour 2020 n’était que de 70 milliards de dollars, soit nettement moins que le budget de la Chine, qui s’élève à 193 milliards de dollars. Le budget de la défense de l’Inde est réduit alors que Chine et Pakistan présentent des dangers potentiels sur de nombreux fronts.
Les experts suggèrent que New Delhi devra réduire ses dépenses sur d’autres investissements militaires ou affecter des fonds supplémentaires au développement des SNA. L’Inde s’interroge sur le besoin d’un porte-avions supplémentaire ou si les SNA suffiront.
Deux arguments vont à l’encontre de cette logique. Premièrement, les sous-marins classiques seront plus coûteux à acquérir et à exploiter à l’avenir, considérant l’expérience récente de l’Australie avec le programme français de construction de sous-marins. Bien que moins coûteux que les sous-marins nucléaires, leur coût pourraient s’en rapprocher en termes d’acquisition et de maintien en condition. Les SNA ont un coût élevé mais ont un rayon d’action et une valeur stratégique incomparables. Deuxièmement, une partie des coûts des SNA de l’Inde est déjà absorbée par les six sous-marins conventionnels qu’elle était censée construire à l’avenir.
Accroître la défense navale de l’Inde
Outre l’expansion chinoise l’accord AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie est une source d’inquiétude. Les experts indiens en matière de sécurité s’inquiètent de la diminution des capacités conventionnelles de la marine indienne face à la perspective de voir des sous-marins nucléaires australiens opérer dans la région. De fait, l’augmentation du nombre de sous-marins australiens dans l’océan Indien affaiblira l’influence et l’autorité de l’Inde sur le théâtre.
Les points de vue de l’Inde et des États-Unis diffèrent sur ce qui est vu, pour l’un, comme l’océan riverain et, pour l’autre, la « région indo-pacifique ». Pour l’Inde, l’océan Indien est plus important que l’océan Pacifique lequel est, à ses yeux, le théâtre de compétition entre les États-Unis et la Chine. Pour l’Inde, la région « indo-pacifique » s’étend du Moyen-Orient à la côte orientale de l’Afrique et New Delhi se considère comme puissance dominante dans la partie « indienne ». Les Indiens accordent une grande importance à l’océan Pacifique car celui-ci pourrait devenir une source potentielle de danger et d’imprévisibilité pour la région.
Cela pourrait également exacerber la rivalité entre l’Australie et la Chine dans l’océan Indien. Les analystes indiens craignent que l’initiative AUKUS n’irrite le gouvernement chinois, laquelle conduirait Pékin à accroître ses activités navales de la mer de Chine méridionale à l’océan Indien. Il est envisageable que les forces navales chinoises déplacent certaines de leurs opérations vers la partie orientale de l’océan Indien. La marine indienne serait alors contrainte de modifier ses plans en réponse à l’augmentation significative de la présence navale de la Chine et envisager de déployer une partie de ses forces navales en mer de Chine méridionale pour maintenir un certain équilibre. Toutefois, cela ne fera qu’envenimer davantage les relations entre l’Inde et la Chine.
Il y a environ 130 sous-marins nucléaires dans les marines du monde entier. L’Inde n’en possède qu’un seul, contre douze pour la Chine. L’Inde possède actuellement deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et devrait, à court terme, disposer de trois SNLE de classe Arihant. Toutefois, les SNLE ne peuvent pas être utilisés à la place des SNA, qui sont des « sous-marins d’attaque véloces » dotés de torpilles pour frapper des cibles ennemies.
En revanche, un SNLE doit être protégé, par un SNA ou par d’autres moyens, même s’il dispose de torpilles en auto-défense. SNA et SNLE dépendent tous deux de réacteurs nucléaires pour leur électricité. En 2019, New Delhi et Moscou se sont entendus pour un prêt d’un sous-marin de type Akula (*) pour un coût de 3 milliards de dollars. La présence navale croissante de la Chine et les retards du projet de SNA doivent contraindre l’Inde à disposer, au plus tôt et au mieux, de sous-marins en bon nombre.
[NDLR : Dans l’attente de décision le Chakra 2, restitué en 2021, serait ainsi remplacé par le Chakra 3]
Source : The National Interest